En mars 2019, Mylène subit une agression sexuelle. Comme beaucoup de victimes, elle ne se doute pas encore que son traumatisme ne se limitera pas au temps qu’a duré l’agression. Bien sûr, elle est sous le choc de cet événement bouleversant, mais la suite des choses a constitué pour elle une autre série de traumatismes. En effet, suivant l’agression, Mylène se présente à la police et se tourne vers le système judiciaire, témoigne, insiste, tente de faire avancer l’affaire – sans succès. On lui demande « Es-tu certaine d’avoir dit non? », « Es-tu certaine qu’il t’a comprise? », etc. Mylène se heurte à un système et à une société qu’elle constate non adaptés aux besoins, à la santé psychologique et aux multiples réalités des victimes d’agressions sexuelles.
En tant que victime puis survivante, il est possible de revivre les conséquences d’une agression sexuelle bien après celle-ci. Le traumatisme initial, déjà lourd à porter, peut s’en trouver décuplé. Il peut être réveillé par des questions, des insinuations ou carrément des accusations des autorités, mais aussi de l’entourage, de proches inconscients qui ne réalisent pas qu’en critiquant la tenue que portait une survivante, ses pratiques sexuelles, son cercle social, ses habitudes de vie, son tempérament, ou même en remettant en question son consentement, c’est sur la victime qu’ils jettent le blâme de l’agression. Le criminel responsable est alors représenté comme un simple instrument passif.
Le phénomène par lequel on attribue la faute d’un crime à la personne qui l’a subi se nomme « blâme de la victime » ou victim blaming. Il est bien ancré dans notre culture pour les agressions sexuelles. Plusieurs psychologues l’envisagent comme une espèce d’autodéfense mentale chez la moyenne des gens : ils blâment une victime parce qu’ils veulent croire que si on subit quelque chose d’aussi horrible qu’une agression sexuelle, c’est forcément qu’on l’a bien cherché. Ils veulent croire que les victimes ont mérité leur sort parce que s’ils réalisaient que des choses aussi atroces peuvent arriver à n’importe qui, n’importe quand, l’anxiété qui en résulterait serait trop intense pour eux.
Au final, le blâme de la victime repose sur une logique égoïste : c’est pour me protéger et m’épargner psychologiquement que je te blâme pour ton agression.
L’effet pervers du blâme de la victime, c’est que non seulement il retraumatise les survivantes, mais il contribue aussi à rajouter toujours plus de restrictions à ce que les femmes en particulier peuvent faire sans se faire blâmer pour les agressions qu’elles subissent. Ainsi, pour éviter d’être une victime, dans la « sagesse » populaire, une femme ne devrait pas sortir la nuit, devrait verrouiller en tout temps ses portes et ses fenêtres, ne devrait pas porter de vêtements serrés, devrait se restreindre sur le plan sexuel, etc. Cependant, quand on sait que 8 crimes sexuels sur 10 se produisent au sein même d’une unité familiale, on voit que la « sagesse » populaire ne comprend pas les réalités des agressions sexuelles.
De plus, bien évidemment, une personne a le droit de vivre sa vie comme elle l’entend sans se voir critiquée pour les crimes des autres.
Toutes les survivantes ont des contacts différents avec les systèmes policier et judiciaire. Si certaines y trouvent de la compassion, d’autres – comme Mylène – y trouvent ce blâme de la victime. Certaines y trouvent une occasion de faire la paix avec ce qui leur est arrivé, d’autres y sont retraumatisées à répétition. En tant qu’organisme d’aide aux survivantes, nous pouvons juste espérer que les formations des intervenants permettront petit à petit de débarrasser le système du blâme de la victime et que les survivantes qui font le choix de la judiciarisation seront de mieux en mieux accompagnées.
Dans tous les cas, nous envoyons ce message aux survivantes : le crime que vous avez subi n’est pas de votre faute. Vous n’avez pas commis de crime et ne devriez pas être traitées comme tel. Si les autorités ou votre entourage vous ont blâmées pour votre agression, sachez que c’est arrivé à beaucoup d’autres survivantes. Vous n’êtes pas seule. Et si vous faites appel aux services disponibles, vous pourrez en parler avec des femmes qui vous comprennent.
Divers organismes offrent des services pour venir en aide aux survivantes à toutes les étapes de leur(s) traumatisme(s). Ce sera aussi le cas de la Maison la Grande Ourse Montérégie, dès qu’elle sera en mesure d’avoir pignon sur rue. D’ici là, n’hésitez pas à nous joindre si vous avez besoin d’être guidées vers les services appropriés.
Histoire et article original de Mylène Beaudoin : https://mylenebeaudoin.com/pas-la-faute-a-zuckerberg/
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